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Extraits des livres

 

Gardiens, Tome 1

 

- Prologue -

 

Les Terres d’Avalyn – (An 9978 Post Eckmul)

 

Le manteau de la nuit avait recouvert le paysage depuis peu lorsqu’Allarus sortit de la maison pour s’installer confortablement sur le perron en bois rouge. La petite demeure située près de la sortie ouest du village lui avait été attribuée quelques années auparavant par Erani, l’intendante d’Osthéria. La jeune bourgade, bâtie depuis deux décennies pour les besoins des recherches faites sur le Mont Aralin, ne manquait de rien. Toute une vie s’y était développée, et presque l’intégralité des corps de métier y était représentée. Les hommes et les femmes venus ici accompagner les Sages avaient rapidement pris possession des lieux, de nouvelles générations commençaient à pointer leur petit nez rose.

Émergeant finalement de ses pensées, l’homme se leva du fauteuil à bascule, descendit lentement du perron, fit quelques pas vers le champ de maïs dont les épis, gonflés de vie, se balançaient mollement sous la brise. Il fouilla dans sa besace, en sortit une petite poignée d’herbe à foin qu’il fourra machinalement dans sa vieille chibouque. Il aimait le plaisir simple de fumer sa pipe, tout en regardant les étoiles, et en écoutant le silence de la nuit. Cela le détendait et l’aidait à réfléchir. Malheureusement, le bien-être et la sérénité coutumière n’étaient pas présents ce soir-là, Allarus avait l’esprit ailleurs. Depuis de nombreuses années maintenant, il consacrait énormément de temps à travailler, en compagnie des quatre autres Sages, sur l’artefact découvert un siècle plus tôt sur le Mont Aralin. Il réalisait, dans ce but, de fréquents voyages entre le site d’Osthéria et la ville d’Endraïle, siège de l’oligarchie. L’objet de ces recherches était une magnifique arche de trois toises de haut sur deux de large, dont émanait une éminente source de magie. Le monument était recouvert de signes anciens, dont la signification avait depuis longtemps été oubliée : nul Sage ne parvenait à les déchiffrer. Jusqu’à présent, leur dévouement n’avait pas abouti. Ils avaient consacré deux années entières à éplucher d’anciens textes dans la grande bibliothèque des Mages, afin de découvrir l’identité des bâtisseurs, une signification à cet étrange langage et la fonction d’une telle œuvre architecturale, sans aucun résultat. Allarus n’avait trouvé aucune référence à l’artefact, même dans les plus anciens grimoires. Néanmoins, à maintes reprises, il avait pressenti qu’il était sur le point de découvrir des informations capitales sur l’arche, sans pour autant réussir à établir une théorie cohérente. Aussi, devant l’échec de leurs recherches, ils avaient décidé de soumettre l’artefact à de nombreux examens magiques pour en percer ses secrets, comprendre l’ancienne magie qui irradiait de chaque atome de l’objet. Encore une fois, en vain… L’artefact était resté muet et avait conservé tout son mystère.

Mais à présent, la donne venait de changer. Au moment où le Haut Conseil des Sages, harassé par des années d’examens, avait pris la décision d’abandonner définitivement ses recherches, un incident s’était produit, prémices d’une horrible découverte...

Depuis une semaine, une série d’évènements avait modifié toutes les données de l’équation : les inscriptions qui recouvraient l’arche s’étaient mises à luire faiblement, puis chaque jour de plus en plus fort et de manière constante, tel un battement cardiaque. Conjointement à ce premier phénomène, l’Aura surnaturelle qui englobait l’objet avait commencé à décroître, dévoilant alors une autre essence magique, sous-jacente. Allarus, à la limite du malaise, avait senti une sueur froide le transpercer lorsqu’il perçut pour la première fois cette nouvelle Aura, d’une puissance phénoménale qui, par-dessus tout, suintait le mal absolu. Jamais il n’avait affronté un tel concentré de haine et de colère, entremêlées dans une sorte de joie sadique. Le pire était que cette Aura poisseuse augmentait de jour en jour, comme si son propriétaire se réveillait d’un très long sommeil.

Ce soir, il pressentait que le monde était aux portes d’un grand bouleversement, dont l’homme n’allait peut-être pas pouvoir se relever. Sa décision était prise, il devait faire évacuer Osthéria de toute urgence, ne garder sur le site qu’un petit groupe de Mages afin de surveiller l’arche.

Alors qu’il longeait tranquillement le champ aux épis dorés, contemplant la voûte céleste, une éblouissante lueur au firmament attira son regard. S’arrêtant dans sa promenade, la pipe entre les doigts, il contempla l’étrange étoile filante vert émeraude qui traversait le ciel. La couleur de sa traîne semblait luire d’un halo surnaturel, fait d’une multitude de nuances. Soudain, une très légère mélodie emplit l’air de ses douces notes. Tout en la suivant du regard, il se sentit alors plus léger, comme en transe. Sa pipe tomba au sol, et qui plus est, sans qu’il s’en rende compte. Son corps et son esprit ne lui appartenaient plus, rien ne pouvait le faire quitter cette vision, dont la lumière hypnotique le captivait. Ce corps céleste, à l’inverse des autres étoiles filantes, semblait sillonner le ciel au ralenti. Il brillait d’une lumière disproportionnée. Alors qu’Allarus, statique, contemplait toujours le phénomène, l’astre explosa brusquement en plusieurs morceaux qui se dispersèrent dans un éclair de couleurs. À ce moment-là, Allarus, libéré de son état hypnotique, écarquilla les yeux : un ancien charme venait de se rompre, restaurant dans sa mémoire une information dont le monde allait dépendre.

« La porte d’Eckmul… la prophétie… les Gardiens… ! »

 

 

 

 

La prêtresse lunaire, Tome 2

 

 

- Prologue -

 

 

Les Terres d’Avalyn – 1er jour de la Lune du réveil de l’An 1457 (An 9997 Post Eckmul).

 

La nuit avait enveloppé la plaine de sa sombre étreinte depuis de nombreuses heures. Insensible à l’étrangeté des lieux, la lune gironde éclairait le panorama désertique qui entourait le Sanctuaire, sa pâle lumière se réfléchissant sur les pierres oubliées de tous. Aucun être vivant, pas même un animal, ne s’aventurait jamais à proximité du site maudit. Son histoire était tombée depuis bien longtemps dans la désuétude, mais le mystère qui l’entourait décourageait, encore aujourd’hui, les plus aguerris : une Aura pernicieuse semblait l’imprégner et insufflait ainsi une peur sans nom à tous ceux qui s’en approchaient.

Cela remontait à presque vingt ans, la dernière fois qu’un individu avait trouvé assez de courage, voire de folie, pour s’y aventurer, et à plus de vingt-deux siècles la fois précédente. Un laps de temps considérable sans que personne ne vienne plus visiter l’ancien site, y laissant à l’abandon les murs ternes recouverts de mousses, mais également, selon quelques anciennes rumeurs… seul et dans l’oubli son mystérieux occupant.

 

La femme au teint indigo traversa le long corridor d’un pas souple et affirmé. Elle était pieds nus. La fraîcheur des dalles, polies par le temps et les milliers de passages d’antan, ne la gênait nullement. Elle connaissait chaque parcelle des murs, chaque recoin, chaque corridor au point de pouvoir s’y déplacer les yeux fermés. Elle les avait tant arpentés durant ces derniers siècles.

Sûre d’elle-même, elle avançait sans crainte de sa démarche chaloupée et voluptueuse. À chaque mouvement, ses hanches roulaient sensuellement sous le léger tissu transparent qui composait sa toilette. Cette dernière était fixée à sa taille par une fine chaîne de mitrium, un minerai aussi rare que somptueux. Malgré la fraîche température, deux simples étoffes noires, reliées par de fines cordelettes, protégeaient la vertu de sa généreuse poitrine et de son intimité. L’ensemble mettait en valeur la silhouette parfaite de la femme, dont la beauté naturelle n’avait de toute manière besoin d’aucun artifice pour capturer le regard. Pour peu qu’il n’y ait jamais un regard qui puisse s’y poser.

Tandis qu’elle continuait de cheminer, elle entra dans une nouvelle pièce où s’alignaient des centaines de piliers : ils s’élançaient vers le sommet pour se perdre dans les ombres mouvantes du plafond. Tout en traversant la salle, elle caressa de sa main tendue les larges colonnes qui soutenaient la voûte de l’édifice. Ses doigts effleurèrent délicatement la profusion de caractères sacrés gravés depuis des millénaires dans la pierre, tandis qu’elle repensait à toutes les informations qui s’y trouvaient fixées pour l’éternité.

Elle traversa ensuite un nouveau corridor, parsemé de nombreuses ouvertures à droite comme à gauche qui donnaient elles-mêmes sur de petits couloirs obscurs menant aux anciens appartements des défuntes Prêtresses. Enfin, au bout du passage, elle déboucha dans un colossal cirque à ciel ouvert. Les rayons lunaires se reflétaient sur le dallage de marbre blanc, illuminant d’un éclat irréel l’immense salle. La femme pénétra dans le cercle de lumière et s’y arrêta afin de s’y baigner sans retenue, fermant les yeux et tendant son doux visage vers l’astre passif.

Sous l’éclairage lunaire se distinguaient alors, sur la peau indigo de son visage, deux marques mauves en forme d’aile d’oiseau. Celles-ci prenaient naissance au-dessus de ses sourcils et s’étiraient le long de ses joues. Tel un loup en deux parties, séparées par son nez aux fines arêtes. Ses longs cheveux auburn encadraient son atypique visage et cascadaient jusqu’au creux de ses reins, virevoltant sous la légère brise.

Après quelques minutes de relaxation dans la sérénité nocturne, la promeneuse rouvrit les yeux. Leur éclat n’avait rien à envier aux étoiles. Elle posa son regard sur l’immense statue de marbre noir qui trônait au centre de l’arène : une majestueuse femme dont les deux bras s’enroulaient autour de la taille. Ses doigts reposaient gracieusement au niveau de ses hanches sur ce qui semblait être une robe de tulle ou de lin. Son port était majestueux, apaisant. Il se dégageait de l’idole une quiétude sans nom. Le front de la statue était orné par trois croissants de lune enchâssés les uns dans les autres. Symbole qui pendait également le long de la fine chaînette en argent ceignant le front de la femme au teint indigo.

Celle-ci chemina d’un pas assuré vers la statue ébène qui grandissait au fur et à mesure qu’elle s’en approchait. Finalement, elle s’arrêta et lui fit face, une ombre de malice et de haine dans les yeux. Du haut de ses sept toises, la sculpture semblait observer la visiteuse qui se tenait sans pudeur à ses pieds.

« Tu ne me retiendras pas éternellement captive en ce lieu. J’attends depuis des millénaires, mais je sais qu’arrivera le jour où je pourrais quitter cette prison et alors le monde apprendra à m’obéir et à me vénérer comme je le mérite. L’heure de ma délivrance arrive ! Elle me l’a prédit », expliqua la femme sans aucune colère dans la voix.

Elle affirmait ce qu’elle savait être véridique et rien de plus. Sans attendre la moindre réponse de la statue, elle s’en retourna et retraversa, sous le manteau de la nuit, l’arène en direction de la galerie par laquelle elle était arrivée.

« Une fois l’Ocüleüb récupéré, mon pouvoir sera sans limites », compléta-t-elle tandis qu’elle disparaissait dans les ombres du Temple, sans un regard en arrière.

 

 

 

- Chapitre 1 -

 

 

Les Terres d’Avalyn – 1er jour de la Lune de fleur de l’An 1457 (An 9997 Post Eckmul).

 

Malak se rendit encore une fois au Tribeüm, la salle du Haut Conseil. Il accomplissait ce parcours chaque matin, et ce, depuis un mois, date à laquelle il avait rejoint Endraïle en compagnie de ses amis. De ses appartements personnels, il ne lui fallait pas plus de vingt minutes pour rejoindre le fief des cinq Hauts Sages.

Traversant les lumineux couloirs du Palais des Mages, il ne prêta guère attention aux somptueuses décorations qui ornaient les murs. Ici et là, des myriades de fresques avoisinaient la beauté d’immenses tapisseries. Les promeneurs pouvaient les admirer en se relaxant sur de riches sofas de velours près desquels trônaient des guéridons aux essences rares. Accrochés à la voûte de pierre blanche, de magnifiques lustres d’ivoire, de cristal ou de pierres diverses dominaient indifféremment les allées et venues des visiteurs. L’œil des passants pouvait également être charmé par l’éclat de grands miroirs dans lesquels se reflétait la lumière cristalline des galeries.

Malak était perdu dans les tréfonds de ses pensées et ne percevait pas cette richesse de trésors. Il se remémorait les différentes discussions qu’il avait eues avec le Haut Conseil des Sages concernant le cas d’Éthan. Pour lui, il n’y avait aucun doute : le jeune Ythérien n’était pas un Sorcier. Pendant la durée de leur voyage à travers les Terres d’Antyras puis celles d’Avalyn, Malak avait gardé l’espoir que son jeune protégé était l’un des Gardiens. Mais avec le recul, il savait s’être lui-même bercé d’illusions. Et dans son désir de trouver l’un des enfants de la prophétie, il avait entraîné Éthan dans ses pérégrinations.

Les Gardiens avaient été identifiés et chaque ligne de la prophétie correspondait : leur naissance lors de la nuit de l’étoile, le symbole sur leur poitrine, leurs liens avec l’un des quatre éléments et l’utilisation magique de ce lien alors qu’à l’exception de Jamir, le Gardien du feu, ils venaient de peuples qui ne maîtrisaient pas directement la magie. Malak acceptait l’idée qu’Éthan ne soit pas un Gardien. Toutefois, il ne pouvait envisager qu’il soit une arme dormante des Sorciers. Il l’avait observé durant des mois entiers depuis leur fuite d’Ythéria et il était bien placé pour savoir qu’Éthan n’était pas un Sorcier, comme certains le laissaient entendre. Magnus et Eliabeth, deux des cinq éminents Hauts Sages, semblaient en effet en être intimement persuadés.

Jusqu’à présent, Éthan était consigné dans ses appartements, constamment sous la surveillance de trois Mages de feu, facilement reconnaissables à leurs robes rouges. Ces Mages étaient en charge de la sécurité du palais et de ses visiteurs. Au nombre de quarante, ces hommes et femmes avaient suivi un entraînement particulier et étaient l’élite dans leur classe respective. On trouvait des Élémentalistes, des Métamorphes, mais également des Psychés. À leur tête, Karon, un Mage de feu, veillait d’une main de fer aux règles que tout un chacun, Mage, personnel ou invité, devait suivre.

Dans le contexte actuel, Karon avait décidé de veiller personnellement, avec deux de ses meilleurs hommes, sur le jeune Ythérien. La présence du jeune homme si près des Gardiens rendait tous les Mages nerveux. Néanmoins, Malak connaissait Karon depuis des décennies et avait confiance en son jugement et son impartialité. Il ne craignait pas pour la vie d’Éthan.

Jusqu’au verdict, le jeune homme avait interdiction de sortir de ses appartements, sauf lorsqu’il était convoqué par le Haut Conseil et dans ces cas-là, son transfert se réalisait sous escorte. Bien entendu, il ne pouvait en aucun cas avoir de contact avec les Gardiens. Cette décision avait considérablement offensé Hala dont la loyauté envers Éthan, son ami et sauveur, était sans limites. Seuls Mira, Prisca, Rambi et Malak avaient eu l’autorisation de lui rendre visite.

 

Le Mage arriva devant les deux grands panneaux de bois avant même de se rendre compte du chemin parcouru. Il s’arrêta alors face à l’entrée de la salle sacrée. Le Tribeüm était le fief du Haut Conseil. Toutes les décisions importantes se discutaient en ce lieu. Malak avança la main vers la clenche et se rendit compte qu’elle tremblait. Aujourd’hui se jouait le sort de son jeune ami et c’était Malak qui devait assurer toute la plaidoirie. Le Mage inspira un grand coup et poussa les majestueuses portes.

Les cinq Hauts Sages étaient déjà présents et discutaient entre eux. La courtoisie était de mise, comme à l’ordinaire. Depuis la création de cette institution, il était de rigueur que les cinq Mages constituant le Haut Conseil des Sages soient exemplaires et arrivent à un consensus sans qu’aucune dissension ne paraisse entre eux. Ils n’étaient pas toujours du même avis. Parfois, plusieurs semaines, voire des mois pouvaient s’écouler avant qu’une décision par consensus ne soit prise, mais une fois prononcée, chacun devait la respecter et avoir une attitude collective. Le Haut Conseil des Sages parlait d’une seule voix.

Malak traversa nerveusement la pièce. Elle lui parut particulièrement grande en ce jour. Son attention se fixa sur des détails anodins : les rayons solaires sur le parquet patiné, le fil décousu d’un rideau, un oiseau devant les larges vitres, le tintement sonore du cristal composant les lustres… Puis, machinalement, il se positionna près de la chaise faisant face à l’estrade sur laquelle se trouvait le Haut Conseil. Celui-ci était constitué de cinq Mages : Ariana, Eliabeth, Magnus, Actors et Allarus.

« Hauts Sages, je vous salue, débuta comme à l’accoutumée le Mage en fixant ses interlocuteurs dans les yeux.

— Malak, mon ami, nous te saluons également. Je t’en prie, prends place », lui répondit Allarus de sa voix posée et pleine de sagesse.

Malak et Allarus se connaissaient depuis de nombreuses années. Le premier, orphelin à l’âge de dix ans, avait très rapidement été pris sous l’aile du vieux Mage. Allarus était un ami personnel du père de Malak. À la mort accidentelle de ses parents, il avait suivi avec minutie l’évolution du jeune Mage de feu. Quelques années plus tard, ce fut sans grande surprise que Malak fut choisi pour participer à la plus grande quête de tous les temps : retrouver les enfants de la prophétie. Ils étaient vingt Mages à l’origine. Si peu revinrent.

« Aujourd’hui, une décision doit être prise concernant Éthan. Malak, veux-tu bien nous résumer une dernière fois les différents arguments en faveur de ce jeune homme, afin que nous puissions étudier la question de manière éclairée et sans oublier le moindre point ? » demanda Ariana de sa voix rocailleuse.

Cette dernière, descendante d’une très longue lignée de Mages, était la plus jeune du Haut Conseil. Elle l’avait rejoint à peine douze ans plus tôt. Ses décisions, ses arguments pleins de sagesse, son esprit analytique et son franc parlé étaient toujours appréciés de ses quatre homologues. Ils respectaient son jugement, et ce, malgré son jeune âge en comparaison des leurs. Elle dénotait également de ses confrères par son physique quelque peu excentrique. Elle portait de nombreux piercings et une flamboyante chevelure rouge sang au milieu de laquelle ses yeux bleus ressortaient tels deux saphirs.

Malak prit quelques instants de réflexion. Il devait être clair, concis et direct.

« Trois principaux faits m’encouragent à penser qu’il doit suivre l’entraînement dispensé aux quatre Gardiens. Même s’il n’est pas l’un d’entre eux, son aide peut s’avérer utile. Nous sommes tous d’accord pour dire aujourd’hui, ajouta Malak en fixant Magnus et Eliabeth, qu’Éthan est un Mage. Particulier, j’en conviens, mais un Mage.

Premièrement, il porte sur le thorax une marque identique à celle des Gardiens. Ce qui ne peut être un pur hasard. Deuxièmement, son Aura prouve qu’il est doté d’une très grande puissance, il serait complètement irresponsable de ne pas l’impliquer dans la guerre contre les Sorciers ! Commença à argumenter Malak tandis que Magnus lui lançait un regard lourd de reproches à l’insulte déguisée. Enfin, son pouvoir est en symbiose avec celui des Gardiens, comme nous nous en sommes aperçus lorsqu’il a pressenti le danger que courait Hala chez les Nâgas. »

Le Mage se tut. Rien de ce qu’il ajouterait ne pourrait changer le cours des choses à présent. Ces trois faits se suffisaient à eux-mêmes.

« Merci Malak. L’un d’entre vous veut-il rajouter quelque chose avant que nous délibérions ? demanda Allarus en souriant discrètement au Mage qui venait d’exposer son argumentation.

— Je ne m’explique pas la relation qu’a ce jeune homme avec les Gardiens, mais cela ne fait pas de lui un Mage. Nous ne savons pas qui il est exactement. Même lui l’ignore, intervint Magnus dont la petite moustache lui donnait un air strict.

— En effet, et pour moi, la seule chose dont nous sommes absolument sûrs, c’est justement qu’il n’est pas un Mage. Ses pouvoirs ne correspondent à aucune des classes établies. Alors, posons-nous la question, à savoir s’il… reprit Eliabeth pour compléter l’idée qui germait dans l’esprit de son confrère.

— S’il n’est pas un Sorcier ! l’interrompit Malak avec de la colère dans la voix. Avec tout le respect que je vous dois, je voyage avec lui depuis de nombreux mois. J’ai assisté à la mort de ses parents, sauvagement massacrés sous ses yeux par les sbires d’Arkan. Il a également fait face à Lothar et à son armée pour sauver les Mères du Grand Temple, entraî…

— Entraînant la mort du Sorcier rouge ! Oui, nous savons cela ! reprit sèchement Eliabeth, dont le fin visage et la chevelure grisonnante lui donnaient un air chevalin. Mais Lothar a été tué par la Sorcière Trisha au moment où celui-ci allait occire le jeune homme. Pourquoi ? Que sait-elle que nous ignorons ? Qu’a-t-elle vu qui puisse justifier son action ? Je ne remets pas en doute le fait que ce jeune homme ait beaucoup souffert par la faute des Sorciers, mais comme Magnus le soulignait, lui-même ne sait pas qui il est et d’où il vient. Qui nous prouve qu’il n’est pas une arme secrète employée à son insu par le Démon pour détruire les Gardiens ? Sinon, pourquoi Trisha aurait-elle sacrifié son amant pour ce jeune garçon qu’elle n’avait jamais rencontré auparavant ? Trop de questions restent sans réponse à mon avis. 

— Je pense qu’Eliabeth a soulevé un point pertinent. N’est-ce pas un risque pour l’avenir que de le laisser côtoyer les Gardiens ? Ceux-ci doivent suivre un entraînement particulier afin de développer leurs pouvoirs, créer une parfaite symbiose entre eux et développer une confiance mutuelle sans égal. La prophétie nous met en garde sur ce sujet :

 

Quand les ombres en sursis,

Prêteront enfin allégeance,

Les gardiens, d’être réunis,

Seront proches, mais sans confiance.

 

Ils doivent apprendre à se connaître et à se comprendre au-delà de leurs différences culturelles. Sa présence ne risque-t-elle pas de les déstabiliser ? Et nous ne pouvons écarter le fait qu’il puisse être une arme dormante des Sorciers. Je pense qu’il est même dangereux de le laisser en liberté ! argumenta Magnus.

— Si je reprends tes arguments Malak, continua Eliabeth, ne trouves-tu pas étrange qu’il porte une marque identique aux Gardiens et qu’il soit en résonance avec eux ? Tout porte à croire qu’il devait les infiltrer ou du moins s’en approcher au plus près. Dans ces conditions, ne devons-nous pas nous poser la question suivante : pourquoi ? Si par malheur, nous n’avions pas trouvé les quatre Gardiens, mais seulement trois en plus de lui, combien de temps aurions-nous mis pour nous apercevoir que ce jeune homme était un imposteur ? Une fois que l’un d’entre eux aurait trouvé « accidentellement » la mort ?

— Je pense qu’il ne faut pas s’emballer, intervint Actors pour la première fois depuis le début de la séance. Comme Malak nous l’a rapporté, ce jeune homme a toujours combattu les Sorciers et il semble avoir la confiance de nombreuses personnes, notamment celle de Malak, de Hala, Gardienne de l’eau et des Rockshriim de Karagandha. »

 

Cet homme était le plus ancien membre après Allarus dans le Haut Conseil des Sages. Malgré sa longue barbe blanche, son crâne dégarni, son dos voûté et la peau flasque de son visage, ses yeux pétillant de vitalité et d’espièglerie rendaient ce personnage aussi énigmatique que chaleureux. Issu également d’une longue lignée de prestigieux Mages, il était le dernier de sa lignée, toute sa famille ayant été massacrée par Radhamante. Sa femme et ses deux fils avaient péri dans d’horribles souffrances, torturés puis déchiquetés par la bête du Sorcier qui ne le quittait jamais. Ce drame avait failli anéantir le Mage et même après de nombreuses années, la douleur était toujours présente. Pas une nuit ne passait sans qu’il ne fasse le vœu d’assister à la mort du Sorcier et de son Démon sanguinaire.

« Oui, mais également celle des Nâgas, de la Mère Suprême du Grand temple et peut-être aussi de Trisha Opus de Selemiun. Dois-je vous rappeler que les premiers exterminent sans pitié les Mages depuis des millénaires, que les seconds nous ont chassés des Terres d’Antyras et condamnés à mort au cas où nous reviendrions et quant à la troisième, ses méfaits se passent de commentaires ! compléta Eliabeth en plongeant son regard d’un vert intense dans celui d’Actors.

— En parlant des Nâgas et du Grand Temple, nous devons également prendre une décision. Le représentant du peuple Nâga est pour le moment sous bonne garde dans ses appartements, mais combien de temps acceptera-t-il cette situation ? De son côté, le Grand Temple attend une éventuelle aide de notre part au vu de la trêve négociée par Éthan. Je pense qu’il ne faut pas oublier que grâce à lui, il nous est possible de faire la paix avec ces deux ennemis héréditaires, bien évidemment si nous prenons les bonnes décisions ! reprit Ariana.

— Si vous le permettez, je souhaiterais rajouter quelque chose concernant ce point, demanda Malak après un léger raclement de gorge pour attirer l’attention des cinq Mages sur lui.

— Bien entendu ! Nous t’écoutons mon ami, lui répondit Allarus, un sourire bienveillant accroché aux lèvres.

— Au début de notre voyage, je ne portais pas le Grand Temple dans mon cœur et c’est toujours le cas aujourd’hui. Lorsque j’ai découvert que la Mère Suprême elle-même voyageait parmi nous, j’ai cru que j’allais la tuer de mes propres mains. Cette femme m’insupportait par son intolérance, sa haine, son caractère autoritaire et son comportement égocentrique. Mais ensuite, grâce à Éthan et au Prince Rambi Nai-sing, elle a évolué et nous a même aidés, au risque de perdre sa fonction. Cela bien évidemment, en contrepartie d’une éventuelle alliance, mais sans toutefois aucune garantie de notre part. Éthan lui a fait comprendre qu’il n’était pas en notre avantage de laisser les Sorciers prendre position et régner irrémédiablement sur les Terres d’Antyras. Cela renforcerait leur domination sur le monde et leur permettrait d’obtenir un contingent de soldats quasi sans limites, si ces territoires tombaient définitivement sous leur coupe. Aujourd’hui, le Grand Temple résiste de toutes ses forces face aux assaillants, mais ce n’est qu’une question de semaines avant qu’il ne soit investi. Il est impératif que nous les aidions.

Quant aux Nâgas, ils sont liés à Éthan par une étrange prophétie et le considèrent comme leur roi. Ils le suivront où qu’il aille et quel que soit l’ennemi. Nous avons ici l’opportunité de faire la paix avec cette race d’incroyables guerriers qui ont toujours tenu tête à nos plus grands Mages. Ne ratons pas cette occasion. Leur savoir, leur courage et leur force peuvent être des atouts décisifs dans la guerre qui nous oppose aux Sorciers. J’ai voyagé avec Ashak et à son contact, j’ai appris à le connaître. Lui, mais également son peuple. Ce sont des êtres fidèles et respectueux de leurs croyances. Or, si nous voulons signer un traité de paix avec eux, il est fortement déconseillé de garder Éthan prisonnier. J’ai encore, à ce jour, la confiance d’Ashak, mais cela ne durera pas éternellement.

— Merci Malak pour ces informations complémentaires et pour ton analyse éclairée sur les faits qui nous préoccupent. Si vous êtes tous d’accord, je vous propose de délibérer afin d’aboutir à une solution qui prendra en compte toutes les données du problème. Malak ! Si tu veux bien nous excuser. Nous te convoquerons, ainsi qu’Éthan, lorsqu’un consensus aura été établi, conclut Allarus en se levant et en regardant son ami par-dessus ses lunettes en demi-lune.

— Bien sûr ! J’attendrai d’ici là dans les appartements d’Éthan », répondit Malak respectueusement. 

Il se leva du fauteuil, salua les cinq Hauts Sages et se dirigea vers les deux lourds battants de la salle du Conseil. Une fois ceux-ci refermés, il se mit en chemin vers les appartements où se trouvait le jeune Ythérien, toujours sous surveillance.

 

Les cinq Hauts Sages attendirent quelques minutes sans échanger le moindre mot. Chacun était perdu dans ses pensées et réfléchissait à la somme des informations récoltées durant le mois écoulé. À présent, ils devaient prendre une décision.

« Mes amis, j’aimerais que nous analysions la situation de manière objective et en prenant en compte les enjeux actuels, annonça Allarus en brisant le silence. Avant toute chose, j’aimerais connaître votre avis. Puis nous discuterons afin d’aboutir à un consensus… pour le bien de tous.

— Pour moi, c’est un Sorcier, commença Eliabeth.

— Je ne sais pas ce qu’il est, mais je ne le pense pas néfaste, continua Actors.

— J’ignore également à quelle catégorie il appartient, mais je suis persuadé qu’il est une arme dormante des Sorciers introduite ici pour détruire les Gardiens, intervint Magnus.

— Un Mage, fit Ariana en fixant sereinement ses collègues de ses grands yeux bleus.

— Je rejoins partiellement l’avis de Magnus, compléta Allarus. Mais alors, quelle décision devons-nous prendre ? S’il est une arme dormante, il est manipulé à son insu. En d’autres circonstances, je m’interrogerai sur le fait d’avoir le droit de sacrifier un innocent sur des suppositions. Pourtant, aujourd’hui, nous parlons de la survie de tous les peuples libres des Deux Terres. Dans cette éventualité, faut-il le détruire ou essayer de retourner cette arme à notre avantage ? Là est la question primordiale. »

 

 

 

 

James Tollum
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